Il y’a quelques mois Google avait infligé une série de pénalités pour « Site Reputation Abuse » dans plusieurs pays d’Europe, après une campagne aux USA en 2024.
En France, cette campagne avait forcé un certain nombre de sites de medias à fermer ou à revoir entièrement des sous domaines dédiés aux codes promos et qui étaient en fait des marques blanches ou grises proposées par des partenaires. Nous avions évoqué cet événement dans un article daté du 22 janvier.
Le problème avec ces pénalités (pardon des « actions manuelles » pour reprendre la terminologie de Google) c’est qu’il y’a deux manières de les voir.
La première consiste considérer ces « actions manuelles » comme légitimes, car ces pratiques conduisent à utiliser des failles dans l’algorithme de Google en permettant à des tiers de profiter des scores d’autorité et de légitimité pour promouvoir leur contenu. Les cas de « site reputation abuse » ont souvent été qualifiés de « Parasite SEO » par les SEO eux mêmes. Et au sein de la communauté du référencement, un certain nombre de voix se sont élevées pour dénoncer ces pratiques depuis des années.
La seconde consiste à prendre du recul en remarquant le caractère problématique de ces « règles du jeu » instaurées par Google.
- les entreprises derrière ces marques blanches ont eu recours à ces pratiques parce que Google les a déjà dans le passé privés de visibilité… comme beaucoup d’acteurs qui concurrencent la firme de Mountain View sur son modèle publicitaire
- elle prive les médias d’une source de revenus publicitaires : ces partenariats étant généralement payants, via un accord de partage des revenus ou d’autres modèles de rémunération
- elle empêche les médias de contracter avec qui ils veulent, comme ils veulent
- elles les empêche aussi de choisir les services qu’ils proposent à leurs internautes
Et le principal bénéficiaire de cet ordre des choses, c’est Google, bien plus que les internautes.
En avril 2025 la société de médias allemande ActMeraki a saisi la Commission, affirmant que la politique anti-spam de Google pénalise les sites internet.
Le Conseil des éditeurs européens, l’Association européenne des éditeurs de journaux et l’Association européenne des médias magazines ont également fait des déclarations allant dans le même sens.
Il semble que la Commission Européenne ait entendu ce deuxième point de vue… au point de décider de déclencher une enquête pour une nouvelle violation du Digital Markets Act
La Commission Européenne lance une enquête
Suite aux signalements de plusieurs médias européens, la Commission Européenne a décidé, après une série de contrôles préliminaire, d’entamer une enquête pour violation du Digital Markets Act
Voici la justification qui figure dans le communiqué de presse la Commission annonçant cette décision
Les travaux de contrôle de la Commission ont montré que Google, sur la base de sa «politique sur l’utilisation abusive de la réputation d’un site», déclassait les sites web des médias d’information et d’autres éditeurs ainsi que les contenus figurant dans les résultats de recherche de Google lorsque ces sites web contenaient des contenus provenant de partenaires commerciaux. Selon Google, cette politique vise à lutter contre les pratiques prétendument destinées à manipuler le classement dans les résultats de recherche.
L’enquête de la Commission se concentre spécifiquement sur la «politique sur l’utilisation abusive de la réputation d’un site» de Google et sur la manière dont cette politique s’applique aux éditeurs. Cette politique semble avoir une incidence directe sur un moyen courant et légitime pour les éditeurs de monétiser leurs sites web et leurs contenus.
Certes à ce stade il s’agit juste d’une enquête qui ne présage pas des conclusions définitives, mais soyons clair : les instances européennes pensent bien qu’il y’a un problème.
Voici d’ailleurs ce qu’en dit Tereisa Ribeira, vice-présidente exécutive chargée d’une transition propre, juste et compétitive
Aujourd’hui, nous prenons des mesures pour que les contrôleurs d’accès numériques ne restreignent pas abusivement la possibilité pour les entreprises qui en dépendent de promouvoir leurs propres produits et services. Nous sommes préoccupés par le fait que les politiques de Google ne permettent pas aux éditeurs de presse d’être traités de manière équitable, raisonnable et non discriminatoire dans ses résultats de recherche. Nous mènerons une enquête afin de nous assurer que les éditeurs de presse ne perdent pas d’importantes recettes à un moment difficile pour le secteur, et veillerons à ce que Google respecte le règlement sur les marchés numériques.
A bon entendeur…
Google se défend … comme ils peuvent
Google a répondu le même jour par un billet de Blog signé Pandu Nayak (le responsable des équipes qui gèrent l’algorithme de Google)
M. Nayak considère cette action de la Commission Européenne comme malavisée. Il rappelle qu’une plainte similaire devant les tribunaux allemands avait été rejetée.
Et il défend ses guidelines en expliquant que cela leur permet d’empêcher des sites de spammeurs (comme des sites de « PayDay Loan ») d’envahir les SERPs de Google.
Je vous laisse lire ce joli exercice de « défense et illustration » de leur politique de Site Reputation Abuse, dans lequel Google est présenté comme un chevalier blanc totalement dénué d’intentions mercantiles et qui ne pense qu’au bien des utilisateurs.
Le problème c’est que les sites qui vendent des services en marques blanches ne répondent pas tous forcément à la définition du mot « spammeur ». Et que le rideau de fumée de la lutte contre le spam a servi déjà auparavant à masquer des pratiques d’élimination de sites concurrents, pour lequel Google a déjà été sanctionné dans le passé. Notamment le fameux filtre Panda, en 2011.
Pourquoi c’est important
Le Digital Markets Act, qui n’est pas un dispositif parfait, a au moins le mérite de chercher à faire cesser les abus de position dominante des GAFAM.
Si la notion de « site reputation abuse » peut se défendre tant qu’elle reste un moyen supplémentaire d’éliminer du vrai spam, en pratique l’application de ce principe par Google soulève de nombreuses questions. Les « actions manuelles » visaient elles uniquement à éliminer du spam, ou Google avait il un agenda caché ? Est-ce normal qu’une décision de Google vienne impacter de manière aussi directe des entreprises de services et des médias.
Nous verrons dans quelques mois les réponses que la commission donnera à ces questions.
Pour en savoir plus :
https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_25_2675