Face à la première amende liée au DMA qui lui est promise avec de plus en plus de certitude, Google a décidé de ne pas rester passif. En septembre 2025, le géant de Mountain View a lancé une contre-offensive médiatique d’envergure, orchestrant avec Apple une riposte coordonnée contre le Digital Markets Act européen. Cette stratégie de résistance, inédite par son ampleur, révèle les véritables enjeux de pouvoir qui se cachent derrière la régulation des gatekeepers (contrôleurs d’accès) numériques et redessine déjà les contours du search marketing en Europe.
L’alliance de circonstance : quand Google et Apple unissent leurs forces
L’offensive coordonnée de septembre 2025 marque un tournant dans la stratégie de Google face aux régulateurs européens. Pour la première fois, le géant du search s’allie publiquement avec son rival Apple pour contester une réglementation.
Oliver Bethell, le directeur senior de la concurrence chez Google, mène cette charge avec des arguments soigneusement calibrés. Sa tribune « The Digital Markets Act: time for a reset » n’est pas une réaction à chaud. Cela s’inscrit dans une stratégie de « story telling » bien amenée.
Google utilise ici les codes du leadership d’opinion pour repositionner le débat : de régulé accusé, l’entreprise se transforme en défenseur des PME européennes et des consommateurs.
L’instrumentalisation des données : comment Google transforme la victimisation en offensive
Le coup de maître de Google réside dans sa capacité à transformer ses propres métriques en armes contre le DMA.
- L’argument du 30% de perte de trafic dans l’industrie touristique n’est pas anodin : il s’agit de données propriétaires que seul Google possède, transformant son monopole informationnel en outil de lobbying.
- Les 114 milliards d’euros de pertes prédites pour les entreprises européennes ? Une projection basée sur les modèles économiques internes de Google, impossible à contester sans accès aux mêmes jeux de données.
L’argument de l’innovation sabotée : Google joue la carte de l’Europe perdante
La seconde ligne d’attaque de Google cible directement l’ego technologique européen. En affirmant que le DMA retarde d’« un an » le déploiement de ses fonctionnalités IA en Europe, Google utilise une stratégie de FOMO (peur de manquer) institutionnelle.
L’argument de la sécurité compromise sur Android complète cette stratégie. En affirmant que le DMA l’oblige à retirer des « protections légitimes » contre les liens malveillants, Google positionne la régulation comme un risque pour la sécurité des marques. Une tactique qui résonne particulièrement auprès des acheteurs programmatiques et des équipes ad ops sensibles aux questions de prévention de la fraude.
La tactique du fait accompli : créer l’irréversibilité avant la décision
Google ne se contente pas de communiquer : l’entreprise crée des faits accomplis qui compliquent l’application du DMA. Les modifications déjà apportées aux SERP européennes (pages de résultats de recherche), présentées comme des mesures de conformité, transforment le paysage concurrentiel avant même que Bruxelles ne rende son verdict.
Le lobbying 2.0 : quand la consultation publique devient terrain de bataille
La consultation publique européenne sur l’efficacité du DMA offre à Google l’opportunité parfaite pour déployer sa stratégie d’influence réglementaire. La réponse de 40 pages soumise par Alphabet ne relève pas de la simple conformité : il s’agit d’un document de politique publique sophistiqué qui redéfinit les termes du débat.
Google utilise cette tribune officielle pour introduire de nouveaux concepts dans le débat réglementaire : « application pilotée par l’utilisateur », « cohérence basée sur les faits », « conséquences non intentionnelles ». Cette stratégie sémantique vise à influencer le vocabulaire même de la régulation future, une technique de cadrage narratif particulièrement efficace dans les environnements bureaucratiques.
L’entreprise déploie également une stratégie de construction de coalition, mettant en avant les voix des « petites entreprises » et des « consommateurs européens » prétendument pénalisés par le DMA. Ce faux mouvement citoyen sophistiqué (simulation de mouvement de base) transforme Google en champion des intérêts européens contre… la régulation européenne.
L’effet domino calculé : transformer une bataille européenne en guerre mondiale
La contre-attaque de Google ne vise pas seulement l’Europe. En médiatisant sa résistance au DMA, l’entreprise envoie un signal global aux autres régulateurs tentés par des approches similaires. La mention explicite de la Commission japonaise du commerce équitable dans la communication de Google révèle cette dimension stratégique internationale.
Cette dissuasion réglementaire fonctionne selon une logique d’exemplarité. En démontrant les « coûts » du DMA européen, Google décourage les initiatives similaires ailleurs tout en préparant ses manuels de défense pour les futures batailles réglementaires. Une stratégie de gestion de l’expansion réglementaire qui dépasse largement le cadre européen.
L’entreprise exploite aussi les tensions géopolitiques UE-États-Unis, sachant que l’administration Trump observe attentivement cette confrontation. Google transforme habilement un conflit réglementaire en enjeu de souveraineté technologique, comptant sur les pressions diplomatiques américaines pour modérer l’approche européenne.
Teresa Ribera dans le viseur : cibler le nouveau leadership européen
L’arrivée de Teresa Ribera comme Vice-Présidente exécutive coïncide parfaitement avec la contre-offensive de Google. L’entreprise semble tester la détermination de la nouvelle équipe européenne, utilisant sa communication comme sonde réglementaire pour évaluer les intentions de Bruxelles.
Les trois priorités affichées par Ribera – écosystèmes ouverts, choix du consommateur, propriété des données – sont méthodiquement contestées dans la rhétorique de Google. L’entreprise démontre point par point comment ces objectifs créent des « effets pervers », préparant le terrain pour de futures négociations réglementaires.
Une contre attaque qui ne suffira probablement pas à éviter des sanctions
Au début du mois de septembre, l’Europe a déjà infligé à Google une amende de 2,95 milliards d’euros pour pratiques déloyales en matière de technologies publicitaires. L’entreprise aurait favorisé ses propres systèmes et renforcé la position de la plateforme d’échange publicitaire AdX, au détriment de ses concurrents et des éditeurs en ligne.
Les précédentes sanctions infligées par la Commission Européennne en 2017, 2018 et 2019 avaient porté la facture totale à plus de 11 milliards d’euros pour Google.
Mais Bruxelles semble envisager une nouvelle amende pour non respect du Digital Markets Act, dans la foulée de celle déjà infligée il y’a quelques mois à Meta et Apple. Selon des propos de personnes proches du dossier à la Commission et rapportés par l’agence Reuters, la Commission Européenne n’est pas pressée de communiquer sa décision, mais ne reculera pas…
Affaire à suivre…