Que penser de la polémique sur les recherches Zéro Clic ?

Il y’a quelques jours, nous avons assisté à quelque chose d’inédit : Google, par le biais de son porte parole Danny Sullivan, s’est fendu sur son blog d’une mise au point par rapport à un article de Rand Fishkin. Je n’ai pas vu grand monde s’étonner de la forme et du fond du billet, et pourtant, il y’a de quoi se poser des questions.

Mais qui y’a-t’il dans le billet de Rand Fishkin qui a gêné Google au point de se lancer dans un double exercice : décrédibiliser l’étude et noyer le poisson.

Le chiffre choc : 65% des recherches effectuées sur Google se terminent par zéro clic pointant vers un autre site que Google.com

Qu’est-ce qu’une « recherche à zéro clic » ?

Il s’agit de sessions de recherches qui commencent par la frappe d’une requête sur Google, et ne se terminent pas par un clic pointant vers un autre domaine que Google.com

Rand Fishkin (l’ancien patron de Moz, et le fondateur de Sparktoro) avait déjà publié en Août 2019 une première étude sur ces fameuses recherches Zéro Clic. Dans l’étude de 2019, le chiffre obtenu était que 50,3% des sessions sur Google US appartenaient à cette catégorie. Ce chiffre avait été fourni par la société Jumpshot, une filiale d’AVAST (le logiciel antivirus gratuit).

https://sparktoro.com/blog/less-than-half-of-google-searches-now-result-in-a-click/

J’avais eu l’occasion de partager lors du premier Search Y en 2019 les données de Jumpshot France qui montraient des ordres de grandeur similaire sur Google.fr

Cette fois-ci, Rand Fishkin a été forcé de changer de fournisseurs de données. Jumpshot a en effet été fermé en janvier 2020 suite à un bad buzz sur la façon dont Avast utilisait les données personnelles de ses utilisateurs. Jumpshot, qui vendait des statistiques de type « clickstream » (donc pas vraiment problématiques en réalité) a fait les frais de la polémique pour permettre à AVAST de se refaire une virginité sur ces sujets de Privacy.

La nouvelle étude de Rand Fishkin a donc été effectuée avec les données de SimilarWeb. Les deux études ne sont donc pas strictement comparables, car le « panel » utilisé par SimilarWeb est différent de celui de Jumpshot. La différence la plus évidente réside dans la couverture des données : elle est globale (tous les pays) pour Similarweb, alors que les données Jumpshot étaient nationales.

Cette fois-ci, le résultat est encore plus spectaculaire : les données de Similarweb aboutissent à un taux de recherches zéro click de 64.82%. Donc presque 2 sessions sur 3 !

Et là Google, et une partie de la communauté SEO A sursauté.

Le « camembert » à l’origine de la polémique, tiré de l’article de Sparktoro

La réponse de Google : c’est n’importe quoi

Google a un modèle économique totalement dépendant des clics envoyés à ses clients en SEA. Et la bienveillance de tout l’écosystème web envers Google repose avant tout sur statut de pourvoyeur principal de trafic, loin devant les autres acteurs.

Cela n’a rien déclenché les fois précédentes, mais là, le chiffre obtenu était trop impactant pour ne pas menacer l’image de Google. Donc visiblement, Danny Sullivan a été chargé de monter au front et d’écrire un billet sur le blog de Google pour éteindre l’incendie naissant. Et ceci, alors même que la réaction de la communauté SEO allait de l’incrédulité au rejet des données pur et simple, en passant par des demandes de clarification sur la méthodologie. Bref, le chiffre annoncé n’a pas déclenché une reprise immédiate et unanime des infos de Rand Fishkin.

En soi, le manque de sérénité de Google sur le sujet est une information en soi.

Ensuite, il est intéressant de s’intéresser à l’argumentation développée par Danny Sullivan dans son billet :

https://blog.google/products/search/google-search-sends-more-traffic-open-web-every-year/

Côté Google, une argumentation qui noie le poisson

Déjà, le billet de Google commence par décrédibiliser l’étude de Sparktoro :

« Comme l’ont fait remarquer les professionnels du secteur de la recherche, cette affirmation repose sur une méthodologie erronée qui ne tient pas compte de la manière dont les gens utilisent la recherche. »

Danny Sullivan parle ici de Rand Fishkin et de Similarweb, qui savent très bien comment les gens utilisent la recherche. En réalité, la suite du billet est une longue explication des raisons pour laquelle les recherches zéro clic existent, et même peuvent tout à fait représenter une proportion importante des sessions de recherche !

Quant à la soit disant « méthodologie erronée », on est dans la pure mauvaise foi : la méthodologie de la collecte d’informations à base de panel pour mesurer le clickstream sur les sites est parfaitement connue. Les données brutes collectées par Similarweb méritent mieux qu’un rejet d’un revers de main, sans aucun argument expliquant ce rejet. Bien sûr ces données peuvent être mal interprétées, mais les erreurs d’interprétation ont plus été observées dans les commentaires que dans l’article de Sparktoro.

Donc le seul argument de Danny Sullivan, c’est de renvoyer vers l’article de Barry Schwartz, dont la position n’était pas le rejet complet de la méthodologie mais de se demander si ce chiffre n’était pas obtenu par une surreprésentation de certains types de visites ou de requêtes. Mais chez Barry Schwartz, pas de contre argumentation.

Je constate également que Google conteste la validité d’une étude et ses chiffres mais ne communique pas les siens. Or on est sur une mesure avec un outil « externe » d’un phénomène qui est très facile à mesurer avec les outils internes de tracking de Google. Donc ils auraient pu donner les vrais chiffres de recherches zéro clic. Ou les vrais chiffres de trafic envoyé aux autres sites. Mais non.

Du coup, mon radar zététique s’allume :

  • stratégie de décrédibilisation d’une étude sans expliquer en quoi elle est fausse
  • longue confirmation des raisons pour lesquelles il peut y avoir beaucoup de ces soi disant recherches zéro clic
  • affirmations sans preuves de la part de l’acteur qui peut avancer ces preuves

Euh ? Google ? Ce n’est pas une mise au point, c’est juste une tentative maladroite de noyage de poisson.

En même temps, est-ce que l’article de Sparktoro donne dans le sensationnalisme et présente les données de manière un peu orientée : oui, certainement. Rand Fishkin a probablement voulu que ses chiffres aient l’effet d’un électrochoc. Vu la réaction de Google : c’est réussi.

Google affirme envoyer de plus en plus de trafic aux autres sites chaque année

L’autre partie de l’argumentation de Danny Sullivan consiste à affirmer que Google envoie chaque année de plus en plus de trafic vers d’autres sites.

Je comprend que Google puisse s’être inquiété que l’affirmation « deux recherches sur trois sur Google sont des recherches zéro clic » puisse être mal comprise, et conduise un lecteur mal informé et peu attentif à la conclusion que « le trafic envoyé par Google est en baisse ».

Mais si vous lisez bien l’article de Sparktoro, ils disent la même chose : le nombre de clics envoyé par Google aux autres sites n’a jamais diminué d’une année sur l’autre. Les données de Jumpshot montraient une légère baisse sur la fin de 2019, et celles de Similarweb également, mais globalement, sur l’année, on a bien une hausse des clics envoyés !

L’évolution du nombre de clics mesurée par Similarweb est bien en hausse depuis début 2018. On voit un fléchissement au 2e T 2019, mais les clics envoyés par Google sont répartis à la hausse fin 2019

Bref, Google ne fait que souligner une des conclusions que l’on peut aussi tirer des chiffres de SimilarWeb. Et c’est vrai que cela va mieux en le disant.

Mais par contre, la proportion du trafic reçu par Google qu’il transmet aux autres sites est en sérieuse baisse.

L’éléphant dans la pièce que Google cherche maladroitement à cacher

Car le problème de fond n’est pas une soi-disant baisse du trafic envoyé par Google.

En réalité ce qui se passe depuis des années, c’est que Google connait une croissance continue et importante de son trafic, mais qui ne se répercute pas sur les clics envoyés aux autres sites. La hausse de trafic compense (mais à peine) la baisse de la proportion de trafic renvoyé.

Chart of Google Mobile Search CTR
La baisse de la proportion du trafic mobile renvoyé à d’autres sites par Google entre janvier 2016 et juin 2019 atteint -14% d’après les données de Jumpshot

Du coup, est-ce grave docteur ?

Non. Pas du tout.

Le trafic envoyé par Google est toujours cette manne que tout l’écosystème web convoite.

Cela fait des années que le trafic SEO est très, très élevé. Le Search représente encore le principal pourvoyeur de visites pour la majorité des sites, et de loin ! Et on l’a vu, le « gâteau » à se partager est même toujours en train d’augmenter.

Jadis, la croissance du gâteau était rapide, elle est symbolique aujourd’hui. On comprend mieux par conséquent pourquoi il est de plus en plus difficile de faire croître son trafic SEO en 2021 qu’en 2011, car aujourd’hui cela sous entend de prendre des parts de voix à ses concurrents, de plus en plus nombreux.

Mais non, le SEO ne va pas mourir parce que Google envoie moins de clics. Il envoie toujours un tout petit plus de clics chaque année, mais en garde de plus en plus… pour lui. Est-ce que Google veut se tailler la part du lion, de façon cynique ? C’est sans conteste plus l’effet de l’évolution du moteur que d’autre chose.

Pourquoi Google s’abaisse à lancer ce rideau de fumée ?

Du coup, on peut se demander pourquoi faire une montagne de quelque chose qui peut s’expliquer posément.

En réalité, notre « éléphant dans la pièce » gêne Google. Ils ont souvent été attaqués sur ce point lors des procédures pour abus de position dominante, aussi bien devant la Commission Européenne, que la FTC et le Congrès. Devant le congrès, Google avait répondu par une pirouette à une question du rapporteur de la commission d’enquête sur les GAFAM qui pourtant, était claire, et appelait une réponse par oui ou par non : « sur le total des recherches effectuées via Mobile ou Desktop sur Google US, est-il vrai que moins de 50% aboutissent à un clic vers un autre site ». Ils auraient pu cocher la case non, ils ont préféré répondre à côté.

Quelles que soient les raisons que Google peut avoir pour envoyer une part de plus en plus faible de trafic au reste de l’écosystème, le constat affaiblit clairement la position de la firme de Mountain View quand on l’accuse de profiter de sa position dominante sur le marché du Search et de la publicité.

Est-ce que la réponse de Google a mis fin à cette polémique ? Je ne crois pas.

J’ai hâte de voir les prochains épisodes de ce feuilleton.

Laisser un commentaire